lundi 13 juillet 2009

Discours prononcé le 8 mars 1955, University of Mississipi.

Parler de la nature en tant que sujet de l’artiste a plus été la préoccupation de ceux qui n’aiment pas regarder l’art mais qui ont besoin d’objets aisément reconnaissables pour en discourir. La nature a particulièrement fait l’objet de la harangue de critiques professionnels qui n’ont pas eu le courage de s’opposer ouvertement à certaines écoles artistiques d’avant-garde.

L’exigence de nature vient couramment du fait que ce qui est recherché sont des reproductions plutôt que de l’inventivité. Par moments, les artistes parlent de la nature et de leur dépendance vis-à-vis d’elle. Certains font écho à l’exigence formulée par l’attente critique. Certains utilisent le mot dans leur propre acception. Après tout, tout ce qui arrive en art doit se passer dans la nature.

Une attitude critique de la nature vient de ceux qui sont en dehors du métier de l’art et cela en représente couramment une vision limitée. Les artistes apprennent plus de l’ art que de la nature. Les œuvres d’art sont plus l’identité de l’artiste que l’identité d’un objet-nature. Mais avec le temps évoluant et l’environnement se modifiant, différents artistes choisissent différents aspects de la nature.

Après tout, la nature c’est toute chose et chacun de nous. Il est impossible, pour quelque artiste que ce soit, de ne pas participer de la nature ou de ne pas se confronter à des problèmes qui ne ressortent pas de la nature.

Dans l’ensemble nous sommes plus compatissants que critiques dans notre vision de la nature.

Faisant partie de la nature, nous ne la remettons pas en question. Nous l’acceptons et nous fonctionnons en tant qu’un de ses éléments constitutifs nommé homme-créatif.

Le réalisme représente mieux l’appellation d’artiste dans cette situation et cela, comme sa propre dénomination de la nature, inclut l’homme artiste avec son imagination. Le réalisme englobe la mémoire visuelle de tout art et la réalité de travail de sa famille artistique spécifique. Il reconnaît et accepte comme faisant partie de son identité l’héritage duquel il est né comme n’importe qui connaît et accepte sa propre famille personnelle. Son intérêt pour la réalité n’est pas sa représentation prosaïque mais sa transposition poétique.

Comme l’homme primitif, l’artiste imagine souvent la réalité mieux qu’il ne peut la comprendre ou l’expliquer. En fait, tout le processus créatif dans l’art découle de la vision, sans questionnement, sans mots ou sans même l’ébauche d’une explication.

L’image « photographique », l’après-image sont plus importants que l’objet lui-même. Les associations d’idées et leurs constructions visuelles sont souvent plus importantes que l’objet. Les ambivalences en termes visuels peuvent être plus expressives. Le blanc est plus blanc lorsque le noir domine. L’échange visuel métaphorique est perçu chaque jour de différentes manières. Quand c’est verbalisé, sa valeur poétique est perdue. L’œil de l’esprit et non l’œil miroir contribue à la réalisation perspicace de l’art plus que la vision « reporter » ou la voie de l’idée.

Du point de vue contemporain le plus récent, la seule réalité que l’artiste ait besoin de reconnaître est qu’il est un artiste. Réalisant cela, il s’identifie lui-même en tant que faiseur d’art, indépendamment, personnellement et totalement dévoué à l’art. Il est dans sa nature et dans sa réalité d’être le faiseur d’art. De fait, il devient son propre sujet.

Il n’est pas arrivé à cette position soudainement et seul. Cela s’est fait grâce à son héritage familial, particulièrement celui de sa famille artistique du XXe siècle. L’Impressionnisme, le Post-Impressionnisme, le Fauvisme, le Cubisme, le Constructivisme, De Stijl et le Surréalisme font parties de sa famille.

L’esthétique américaine, au début, du siècle était dépendante de l’esthétique européenne. La plupart de nos artistes ont étudié à Paris, le centre artistique européen, ils ont rencontré, ils ont suivi ou contribué aux courants artistiques nouveaux et révolutionnaires en gestation. À partir de 1909 la galerie de Stieglitz de New York exposa quelques peintres de retour d’Europe essentiellement influencés par le Post-Impressionnisme : Weber, Hartley, Maurer (Bernard) Karfiol et (Samuel) Halpert. Ce fut le début de notre changement. Après l’Armory Show de 1913 le Cubisme primitif introduisit une autre vision enrichissant le Post-Impressionnisme. Pendant une courte période, ces deux mouvements entraînèrent les artistes Américains vers une semi-abstraction. Les sculpteurs Archipenko, Laurent (s ?), et Lachaise devinrent résidents américains et importèrent leur œuvre et leurs visions esthétiques dans le paysage conservateur et académique qui régnait alors sur la scène la sculpture américaine. Cela ne créa pas de stimulus unificateur et ne reçut qu’un faible soutien du public. La conviction de la plupart des artistes en cette nouvelle vision ne fut pas assez profonde pour durer. Le concept de Cubisme était encore fluide et pas très défini – quelques-uns de nos peintres furent attirés par le Futurisme italien, sa vitesse et ses machines qui, d’une certaine manière, étaient plus définis grâce à des manifestes, des écrits et des efforts concertés. La plupart de nos peintres travaillèrent donc sur la base d’un concept réaliste en y appliquant un rendu futuriste ou cubiste. Jusqu’en 1940, les peintres ou sculpteurs abstraits dans notre pays se comptaient sur les doigts d’une main.

Après 1946, les peintres et sculpteurs abstraits poussèrent par milliers. Avec les années 50, un nouveau mouvement, encore sans nom pour certains, mais l’on s’y réfère souvent comme « Expressionnisme Abstrait », se développa sans manifeste ni organisation, indigène et indépendant, ce fut le premier mouvement originaire d’Amérique. L’histoire de ce mouvement est en cours, la situation est encore fluide. La France revendique un mouvement simultané, mais je crois que l'histoire montrera notre avance. Certains critiques français nous en ont fait le crédit.

Ce mouvement aux Etats-Unis ressemble beaucoup au Cubisme en France. Le Cubisme n’était pas un mouvement organisé mais ceux qui y participèrent s’accordèrent à reconnaître que le résultat collectif procédait de la vision poétique individuelle de chaque homme et provenait totalement de sa nature propre. À son apogée en 1910-14, le Cubisme n’intégrait pas tous les grands artistes novateurs européens pas plus que l’Expressionnisme abstrait n’inclut réellement l’intégralité du travail créatif produit aux Etats-Unis jusqu’en 1955. Ainsi, la référence à l’une ou l’autre de ces écoles est très générale.

Cela n’a pas beaucoup d’importance de savoir si ce sont les Français ou les Américains qui sont les premiers. Nous avons atteint la majorité et nous créons intuitivement avec une conviction autonome. Je ne pourrais pas citer ces peintres et sculpteurs de ce nouvel ordre. Il y en a des milliers. Leur nombre croit fortement partout dans tout le pays.

Les maîtres, Picasso, Matisse, Bonnard, Rouault, Brancusi, Braque, etc., restent les maîtres. Nous sommes leurs héritiers tout autant que leurs coreligionnaires dans les pays dans lesquels ils ont choisi de vivre.

Beaucoup d’Européens sont venus dans notre pays comme invités ou comme réfugiés – Chagall, Léger, Miro, Masson, Klee, Moore, Brancusi et beaucoup d’autres. Même en tant que visiteurs, ils ont fortifié notre art. D’autres comme Lipchitz, Mondrian, Gabo, Duchamp sont devenus des résidents américains apportant une part de l’héritage international dans notre pays. Beaucoup de choses en général, rien en particulier, a constitué notre environnement.

Je suppose que les historiens trouveront des raisons qui leur conviendront pour expliquer pourquoi nous en sommes arrivés là mais j’espère que nous serons présentés comme les précurseurs d’un mouvement plus large.

Tels que nous sommes, nous ne dépendons pas d’étrangers qui proclament ce qu’est l’art, ce qu’il était ou ce qu’il devrait être. Nous avons conscience que les esthéticiens ne peuvent s’exprimer qu’après l’acte de création. Nous avons toujours une longueur d’avance et sommes plus éloignés d’eux par le fait que l’héritage de notre art est toujours visuel et non-verbal. Les historiens en charge de la théorie, des hypothèses sur la vraie beauté des âges passés n’ont pas de proximité avec nous.

Nous travaillons avec nos propres convictions. Nous durerons ou déclinerons grâce à la confiance que nous avons en ce que nous faisons de l’art.

La peinture a porté l’étendard créatif au début du siècle. Brancusi, notre plus grand sculpteur vivant, était la seule exception. Le Cubisme, un concept sculptural essentiellement initié par des peintres, a plus fait pour la sculpture que tout autre influence. Au demeurant, quelques-unes des plus grandes dérogations à la sculpture furent réalisées par des peintres. Picasso et Matisse ont créé des œuvres avec des sources totalement en dehors du concept du sculpteur. Picasso réalisa la première tête cubiste en 1909. C’est Picasso, travaillant avec un autre Espagnol, Gonzales, en 1929, qui réalisa des constructions en fer utilisant des objets « trouvés » ou collectés.

Le Cubisme a affranchi la sculpture de la forme monolithique et volumétrique comme l’Impressionnisme a affranchi la peinture du clair-obscur. La vision poétique en sculpture est tout aussi libre qu’en peinture. Comme une peinture, une sculpture traite maintenant de l’illusion de la forme aussi bien que des propriétés intrinsèques de la forme elle-même.

Nouvelle vision et nouveau matériau ont tous deux apporté grandeur et nouvelles voies. Mais ce qui est certainement le plus important sur notre scène artistique, c’est cette identité que l’ artiste a atteinte.